Archéologie du sujet

Alors que paraît ces jours-ci chez J. Vrin le second – La quête de l'identité – des trois volumes qu'Alain de Libera consacre à L'archéologie du sujet, il est un aspect du premier volume – La naissance du sujet – qui m'apparut pour le moins... singulier. Se laissant visiblement emporter par sa volonté de déconstruire le « mythe historiographique » de « l'invention cartésienne du sujet » – « qui, allait-il alors jusqu'à déclarer, ne tardera pas à se transformer problématiquement sous nos yeux en invention du sujet cartésien » –, l'auteur y affirmait ainsi :
Et Jean Beaufret peut bien dire que « la pensée grecque ignore le sujet »*, il faut croire qu'elle ne lui était pas d'avance si totalement étrangère, pour que les modernes – si l'on suppose que le sujet est, de naissance, « moderne » –, aient jugé bon de l'y inventer ou d'en tirer les prémisses.

* C'est la thèse martelée (sic) par Heidegger. Voir « Ce qu'est et comment se détermine la ΦΥΣΙΣ », trad. F. Fédier, in Questions II, Paris, Gallimard, 1968, p. 189 : « Pour les Grecs, l'homme n'est absolument pas un sujet : c'est pourquoi l'étant non humain ne peut jamais avoir le caractère de l'objet. »
En dehors de l'entorse criante au sage principe herméneutique selon lequel il convient de lire un auteur en ne le tenant pas pour moins malin que soi, il se trouve, justement, que Jean Beaufret lui-même écrivait bel et bien dès 1964* que :
L'apparition du sujet dans le domaine de la philosophie n'est nullement moderne. Elle est bien plutôt aristotélicienne. Ce qui est moderne, c'est la préséance reconnue à un certain sujet, à savoir le sujet certain de lui-même, celui dont la science essentiellement réflexive qu'il a de lui, autrement dit sa conscience, devient dès lors pré-science, et par-là décisive de la vérité. Avec l'apparition de cette vérité nouvelle dont l'immanence égologique ou cogitative est le fond radical, commence le monde moderne de la représentation. Désormais, écrira Hamelin en une formule que Heidegger adopterait sans aucune réserve, « la représentation est l'être et l'être est la représentation ».
*Heidegger et Nietzsche : le concept de valeur, paru dans Nietzsche, Cahiers de Royaumont, Paris, Éditions de Minuit, 1967, repris in Dialogue avec Heidegger, II Philosophie moderne, Éditions de Minuit, 1973, p. 187.

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