Röcken

Sur le côté sud de la petite église de Röcken, à peine visibles derrière un bouquet de sapins, seules trois tombes de l'ancien cimetière subsistent. Tout contre le mur de l'église, aux côtés de celle de Carl Ludwig, Ludwig Joseph et Franziska et de celle d'Elisabeth, une simple inscription barre toute la largeur de la tombe de granit noir et de pegmatite rose : « Friedrich Nietzsche 15 Oktober 1844 - 25 August 1900 ».
Juste derrière l'église, une porte basse donne accès à la cour du presbytère, une grosse bâtisse carrée à deux étages dans laquelle naquit Nietzsche. Le presbytère est encore habité. En 1992, Éric Blondel y fit la connaissance du pasteur qui y exerce toujours et lui demanda son nom. Il s'appelait Kant.
Situé dans le land de Saxe-Anhalt, Röcken s'étend le long de la grand-route qui relie Weissenfels à Leipiz en passant par Lützen. « De tous côtés, il est entouré de bouquets de saules, de peupliers et d’ormes épars, de sorte que dans le lointain, seules les hautes cheminées et l’antique tour de l’église regardent par-dessus les vertes cimes... » écrivait en 1863 l'élève du collège de Pforta.

Sacrifiés aux besoins en charbon, la tombe et le village natal du penseur pourraient disparaître d'ici moins de dix ans, rapportait le 7 janvier dernier Le Temps. Le quotidien helvétique précisait (extraits) :
Depuis juillet 2006, MIBRAG (Mitteldeutsche Braunkohlengesellschaft mbH), une grande société de production d'énergie aux mains des puissants investisseurs américains NRG Energy et Washington Group International, opère des sondages en vue d'extraire le lignite du sous-sol. Selon ses plans, l'exploitation minière devrait être opérationnelle en 2025. « Pour nous, cela veut dire que nous devrions quitter nos maisons en 2015 », soupire Dorothee Berthold, ajointe de la bourgmestre de Röcken.
L'exploitation de lignite, cette roche intermédiaire entre la tourbe et le charbon, peu calorifique et grande pollueuse, est vorace. Elle consomme des surfaces à une vitesse effrayante : deux, trois mille hectares, et une fois lancée, rien n'arrête sa progression. Tout autour de Röcken, dans un rayon de six kilomètres, une demi-douzaine de hameaux et un autre village, Sössen, sont directement menacés. Plus de mille habitants.
Mibrag doit impérativement remplacer deux centrales électriques obsolètes, grosses émettrices de CO2, par une installation plus puissante et moins polluante de 660 mégawatts. C'est le sud de Leipzig qui a été choisi. Et comme pour des raisons d'économie de transport on exploite le lignite le plus près possible des centrales, le mauvais sort est tombé sur Röcken et son fils le plus connu, Nietzsche.
« La disparition d'un village, ici, n'émeut plus personne. L'est de l'Allemagne a une tradition de plus de cinquante ans d'exploitation de lignite. Autrefois, du temps du régime communiste de la RDA c'était un signe de progrès, la promesse d'emplois et la fourniture d'énergie bon marché. Mais aujourd'hui il y a de plus en plus de résistance », affirme Dorothee Berthold. Ces derniers temps, la valeur des maisons de Röcken a dramatiquement chuté. Ce qui ne laisse pas d'autre choix à leurs propriétaires que d'attendre l'indemnisation que leur proposera Mibrag dans quelques années.
« Mibrag est capable de déménager l'église et les tombes. Ce n'est pas un problème pour eux. » Et puis, ajoute la conservatrice du petit musée attenant au presbytère, « Nietzsche, en raison des manipulations de sa sœur sur son œuvre, a longtemps été tenu pour suspect d'avoir servi de terreau à l'idéologie nationale-socialiste. Les communistes avaient préféré l'oublier. On ne redécouvre ses véritables écrits que depuis peu. »

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